LA SOCIOLOGIE CONTEMPORAINE


 PRESENTATION

La sociologie française est divisée de multiples courants émanantes de différentes écoles de pensées, ce qui montre la diversité des réflexions d’aujourd’hui mais qui exprime aussi toute la complexité dans la compréhension de nos sociétés. On distingue parmi cette floraison de pensées quatre grands courants qui segmentent majoritairement la réflexion.

Tableau synoptique
des courants

Système

Action

Intégration
Individualisme méthodologique Analyse fonctionnaliste et/ou stratégique

Boudon

Crozier

Conflit

Structuralisme génétique

Sociologie dynamique

Bourdieu

Balandier/Touraine

Il existe des différences entre ces sociologues, des différences d’âge, d’origine mais tous sont de formation philosophique et tous sont passés par la Sorbonne ou sont directeurs de laboratoires de recherche reconnus.
La définition de ces termes permet de comprendre comment se situe leur pensée.

L’intégration, c’est comment expliquer que les individus font partie de groupes sociaux.
Le conflit permet de comprendre les relations sociales sous l’angle des confrontations entre l’espace individuel et l’espace de groupe.
Le système englobe ces groupes sociaux et possède des normes et des règles.
L’action situe ces groupes dans la mesure où, en fonction de leur vie en collectivité, ils produisent des actions qui peuvent être influer sur la transformation de la société.

Alors, si on reprend ce cadre de compréhension, il faut se poser les questions suivantes :

  1. Pourquoi Boudon se positionne-t-il ainsi entre système et intégration ?
    Il ne s’intéresse pas au système mais à l’individu, c’est-à-dire à la situation de l’homme en société mais à partir de l’individu. A partir de là, son analyse consiste à dire que l’individu est libre de son choix dans sa société.

  1. Pourquoi Bourdieu se positionne-t-il ainsi entre système et conflit ?
    Pour lui, les individus émettent des idées dans la société à laquelle ils appartiennent mais, selon lui, ces idées ne leur appartiennent pas réellement. La position des individus est déterminée par la société. C’est le système qui s’exprime et non les individus donc les individus entrent en conflit avec la société.

  1. Pourquoi Crozier se positionne-t-il ainsi entre action et intégration ?
    Ses recherches se sont basées sur l’analyse des organisations dans lesquelles fonctionnent les individus. Ces organisations produisent des dysfonctionnements internes dont les individus ne sont pas à l’origine puisqu’ils fonctionnent par rapport à des stratégies personnelles.

  1. Pourquoi Touraine se positionne-t-il ainsi entre conflit et action ?
    Son questionnement concerne la compréhension de l’évolution sociale. Il cherche à comprendre comment une société peut changer, évoluer en fonction des conflits qu’elle produit. Ces conflits sont issus de mouvements sociaux et non des individus, d’où, selon lui, les possibilités de changement d’une société en fonction de ces conflits.

En résumé, on peut dire que Bourdieu et Touraine considèrent le rapport dans la société en terme de conflits, selon une division en classes, et Crozier et Boudon pensent ce rapport en terme d’intégration où ce sont les individus qui ont le pouvoir de transformer le social.
Alors même si ces sociologues sont divergents par la pensée, dans tous les cas, ils s’intéressent à la totalité sociale et à l’individu.

LA SOCIOLOGIE DYNAMIQUE (Touraine et Balandier)

L’objet de cette théorie est l’opposition radicale des faits aux structures. Il s’agit donc d’étudier le devenir des sociétés (mouvement, changement, évolution, transformation)
Deux origines, une même source

A partir de là, il caractérise les faits sociaux de deux façons. D’une part, l’objet de l’action elle-même et, d’autre part, la signification que donne l’acteur à cet objet.
Alors de leur étude, on peut réaliser un schéma qui explique comment se produisent, selon eux, les sociétés.

Mouvement
Ordre
Orientation
modèle culturel
hiérarchisation
Ressources
mobilisation
besoins

Le modèle culturel combiné aux besoins de la société caractérise la culture et la mobilisation des ressources corrélée avec la hiérarchisation sociale (place des individus) produit le type de société.
Touraine dit : "la société se fait, elle est action sur soi" alors que Bourdieu dit : "la société se reproduit à partir des positions sociales des individus qui obéissent à un "habitus".

Les mouvements sociaux pour Touraine représentent deux choses :

Si un sociologue va dans le sens de Touraine, il doit déterminer s’il existe une action conflictuelle pour le contrôle sociale des orientations d’une société et voir si cette action est une période de crise temporelle liée à quelques individus. Pour lui, tout mouvement social suscite un contre mouvement.

L’ANALYSE STRATEGIQUE (Crozier  - Friedberg)

L’objectif ici est l’étude de l’organisation sociale ou des organisations sociales, leur fonction et leur dysfonctionnement. Partant du principe qu’une organisation est un groupe d’individus, donc un lieu de dynamique sociale. Le point essentiel de l’analyse stratégique, c’est la fonction interne de l’organisation et l’étude de leur dysfonctionnement.

Cette étude passe par trois points :

Crozier met donc avant tout en avant les stratégies des acteurs (place des individus) en étudiant les pathologies des organisations à travers leurs dysfonctionnements puisque pour lui toute organisation peut dérailler. Il diffère encore dans cette démarche de Bourdieu qui, lui, met en évidence une détermination des pratiques sociales par les structures (système). De même il diffère de Weber pour qui tout processus de bureaucratisation fonctionne de manière rationnelle et collective ; et de Marx pour qui toute société peut fonctionner selon une organisation sans rapport de pouvoir.
Quatre traits définissent les organisations selon Crozier :

A retenir :
Les organisations ne sont pas des entités abstraites, ni des données naturelles mais elles sont des construits sociaux. Toute organisation est le résultat des individus qui la composent. L’action collective n’est pas un phénomène naturel, mais ce sont les individus qui permettent le fonctionnement de l’organisation en apportant leur contribution avec des conditions fixées par les règles. Néanmoins, les individus sont responsables des stratégies en tant qu’acteurs ayant le pouvoir de changer les choses.

Conclusion : il y a 3 points importants dans l’analyse stratégique :

  1. il faut une approche systémique de l’organisation ( étude du système – histoire) qui repère deux choses : les aspects formels (associations, etc.) du système et ses aspects informels (réseaux)
  2. il faut une approche stratégique, c’est-à-dire repérer les sources de pouvoir, les marges de manœuvre, la vie des groupes.
  3. Il faut analyser l’environnement, c’est-à-dire les groupes de pression, la concurrence, les relations externes, etc.

LE STRUCTURALISME GENETIQUE (Bourdieu)

Ce post-struturalisme fait suite au structuralisme de Lévi-stauss des années 1950 dont l’origine est linguistique puis anthropologique dans la mesure où il cherchait à découvrir le système de relation sous-jacent qui organise les structures de parenté. "Les structures élémentaires de la parenté". Bourdieu, lui, met en relief une division de la société en classes, c’est-à-dire qui catégorise des structures sociales en fonction de leurs origines et leurs appartenances de classes. Pour lui, tout groupe social est un système de rapport de force entre différentes classes. Son courant met en relief des structures inaperçues par les agents eux-mêmes et peut être appliqué dans le domaine des relations sociales les plus complexes.

Un système ou une structure (même chose) peut être défini par 4 caractéristiques :

Cette définition renvoie nécessairement à la question : comment se reproduisent les structures ? Pour y répondre, Bourdieu prend en compte les comportements des agents du système comme objet central en tant que reproduction des positions. Sa méthode comporte 3 étapes :

  1. Etudier une organisation autour de 3 concepts : Le système de position / L’habitus / La reproduction sociale
  2. Repérer les objets sociaux, c’est-à-dire l’ensemble des relations dont l’analyse explique la fonction
  3. Mettre à jour la logique du système.

Le système de position : Il doit permettre de découvrir quelles relations et quel système de relations organisent l’objet étudié. Pour cela, il propose 3 étapes :

Ces étapes montrent que la motivation des agents est déterminée par leur place dans la structure, c’est-à-dire leur système de position. Celui-ci est conceptualisé par Bourdieu par ce qu’il appelle "l’espace des positions" qui correspond à la position sociale des individus par rapport à leur CSP.
Deux axes déterminent cet espace :

Ainsi, de gauche à droite, on a une structure dissymétrique en faveur du capital culturel ou du capital économique. (retour)


L’habitus : C’est un concept assez difficile à saisir mais qui explique comment les apprentissages sociaux forment des modes de perception, de comportements inculqués transmis aux agents par la famille, le système éducatif, etc. A travers l’habitus, il s’agit "d’intérioriser l’extériorité et d’extérioriser l’intériorité". En fait, les agents situés dans des conditions sociales différentes vont acquérir des dispositions différentes en fonction du moment historique mais aussi en fonction de leur place déjà inscrite dans l’espace social. Cet habitus permet donc de construire un système de dispositions acquises mais aussi simultanément sera producteur de pratiques. Les conséquences directes sont que les agents ont des comportements tels que se perpétuent les relations entre classes. Ainsi, l’individu intériorise la culture qu’il reçoit, la reproduit et donc la perpétue. C’est comme ça que fonctionne la reproduction sociale. (retour)

La reproduction sociale : Comme on vient de le voir, elle renvoie à la reproduction du système des relations de classes. Bourdieu, pour l’expliquer, prend l’exemple du système scolaire. Le but de celui-ci est d’inculquer, d’apprendre une culture entendue pour la plupart de façon identique, fondée sur l’idéologie de l’égalité des chances. Dans cette conception, tout individu a logiquement les mêmes chances que son voisin. Or la reproduction sociale impose aux classes dominées un savoir reconnu et appartenant aux classes dominantes. Donc la reproduction du système se traduit par la transmission d’un savoir appartenant aux classes dominantes vers des classes inférieures. Ce qui engendre la plupart des distinctions culturelles et la différenciation de classes sociales.

Dans tous les cas selon Bourdieu, ce ne sont pas les individus qui agissent mais le système qui parle à travers eux. On peut donc en conclure que dans un système social, la plupart des individus qui réalisent des actions émettent des pensées qui ne leur appartiennent pas. A partir de ce qu’ils font c’est le système qui s’exprime puisqu’eux sont directement reliés à leur position sociale. L’individu n’est qu’une partie pré-déterminée du tout qui, lui, forme le système. (retour)

L’INDIVIDUALISME METHODOLOGIQUE (Boudon)

Le premier principe est l’individu donc courant opposé au structuralisme génétique. On s’intéresse ici aux comportements individuels et non aux structures. La question initiale est : "quels sont les comportements réels des acteurs ?"
Boudon considère que les rôles qu’aura chaque acteur sont différents des normes contraignantes mais qu’au contraire, il y a une possibilité d’usages offerte aux acteurs. C’est-à-dire que l’autonomie de l’individu est toujours possible.
Alors comment les acteurs sociaux vont assumer leurs rôles ? Deux phénomènes explicatifs :

Au niveau du système éducatif, Boudon pense que la scolarité d’un étudiant est une succession de choix. Dans la sociologie du sport, Parlebas qui est un de ses adeptes pose, à travers la classification des sports, cette idéologie du choix.
- Partenaires/Adversaires/Incertitude (courses cyclistes, régates par équipe)
- Partenaires/Incertitude (Alpinisme ou kayak en équipe)
- Incertitude (Ski, voile)
- Adversaires/Incertitude (moto cross, régate seul)
- Partenaires (patinage couple, course relais, bobsleigh)
- Partenaires/adversaires (sports collectifs / tennis double)
- Adversaires ( tennis, sport combat, course de fond)
- Sans interaction (athlétisme – lancers, sauts -, haltérophilie)

A travers ce système global, il distingue deux types de jeu :

Mais chaque sport du schéma est une microsociété caractérisée par sa clôture (espace, temps, nombre de participants et modalités d’interaction). Cette microsociété est soumise à des règles internes et par rapport à ces règles, l’individu devient acteur en élaborant une stratégie d’action par rapport aux autres et aux sports.
C’est dans ce sens que pour Parlebas, le sport se situe à la croisée du pouvoir d’initiative individuelle et des systèmes de contraintes collectives.

CONCLUSION

Tous ces courants se posent une question commune : quelles relations sociales existent et comment elles s’organisent dans une société ? Finalement les divergences ont lieu sur la manière d'étudier ces relations sociales mais l’unité sociologique est l’ensemble des relations établies entre ces courants.
C’est ce que propose Touraine et Ansard qui émettent deux continuums entre ces courants.
Pour Touraine, il y a une relation entre les quatre courants en se basant sur l’objectivité du chercheur et sur la méthode sociologique.

Boudon > Bourdieu > Crozier > Touraine

Plus le courant est à gauche, plus la méthode est objective, c’est-à-dire qui prend en compte l’objectivité du chercheur et articule la théorie sur des formalisation mathématiques (pas d’implication émotionnelle). Plus on va vers la droite, moins de travaux statistiques mais plus d’interaction entre observateur et observé (observation participante – immersion en société)
Pour Ansard, il se base sur l’individu.

Bourdieu > Touraine > Crozier > Boudon

Il place Bourdieu à gauche car pour Bourdieu l’individu est parlé par le système. Ayant une marge de liberté plus faible, il est à l’opposé de Boudon pour qui l’individu est libre et effectue des choix à un moment donné face à une situation rencontrée.


SOCIOLOGIE  DU SPORT


INTRODUCTION

On a vu les séances précédentes comment la sociologie a pris naissance et s’est développée en tant que champ scientifique autonome. Comment elle divisait la pensée du monde en deux grandes visions de ce monde ! Puis nous avons vu comment cette sociologie est aujourd’hui représentée en France à travers quatre grands courants principaux qui découpent à eux seuls l’ensemble de la pensée sociologique actuelle.
Il s’agit dans ce cours de comprendre le développement de la sociologie du sport à travers les travaux des différents auteurs qui ont travaillé ou qui travaille encore sur l’objet sportif. Il s’agit donc de dresser un panorama de ce développement de la sociologie du sport. Afin de pouvoir rattacher les analyses successives que nous développerons dans les prochaines séances à l’ensemble de la sociologie du sport.

LES PREMIERS TRAVAUX

Les premiers ouvrages qui traitent de sociologie du sport paraissent en Allemagne au début du siècle dernier, c’est-à-dire au début du 20ème siècle. En 1910, il faut retenir l’ouvrage de Steinitzer "Sport und Kultur" qui examine les rapports entre sport et culture comme le suggère le titre. Sachant qu’il faut replacer dans son contexte le sport de l’époque. C’est davantage une activité des corps et de sa mise en norme que la mise en place de processus définis pour la recherche de performance ou le loisir comme on peut le constater aujourd’hui.
Le deuxième livre qui paraît est celui de Reisse en 1921 "Soziologie das sports" où l’auteur développe des réflexions sue le phénomène sportif plus qu’il ne s’attache à réaliser une véritable analyse. Ces réflexions ont pour point de départ des opinions et des préjugés qui ont cours sur le sport à cette époque.

Question :
Y en a-t-il encore aujourd’hui ?
Et que peut-on entendre par préjugés sur le sport ? Renvoie à l’esprit critique.

Cependant, faisant preuve de pertinence, Reisse relève que les problèmes sociaux spécifiques naissent avec le sport et que ceux-ci ne peuvent être résolus que par une approche scientifique du phénomène. Si cet auteur met le doigt sur l’aspect scientifique des choses, il faudra attendre la moitié du 20ème siècle pour que prennent naissance la sociologie du sport.

NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT

A partir de 1950, les ouvrages traitant de sociologie du sport se multiplient, la sociologie du sport intervenant de façon première ou accessoire dans ces ouvrages. Citons par exemple des ouvrages de langue allemande comme Papplow en 1951 "Zu einer soziologie das sports" ou encore Plessner en 1952 "Soziologie das sports". Les analyses s’affinent et prennent la forme de plaidoyer ou d’essai.
En France, Joffre Dumazedier publie avec des spécialistes du mouvement sportif : "Regards neufs sur le sport" (1950). On peut voir dans cet ouvrage l’embryon d’une sociologie du sport à partir :

Pourtant, selon Loy dans un article qui s’intitule "The emergence and development of sociology of sport as an academic speciality" et qui est publié dans "Research Quaterly for Exercice and Sport", c’est à partir de cette époque que va se développer la sociologie du sport. En effet, cet auteur distingue 4 étapes qu’il date :

Les articles qui paraissent au cours de la période dite "normale" sont essentiellement à caractère descriptif et font appel à l’analyse historique des phénomènes sportifs. On peut citer en France l’étude de Michel Clouscard, "les fonctions sociales du sport" qui paraît dans "Cahiers internationaux de sociologie" au 1er semestre 1963. A ce titre, cet auteur distingue cinq fonctions sociales du sport :

Educative / Agonale / Professionnelle / De spectacle / De distraction industrielle

Ce dernier stade correspond à la prise de conscience d’un champ de recherche à investir. Le sport acquière une dimension planétaire grâce à a télévision, d’autres sciences s’interrogent aux phénomènes biologiques ou physiologique. (retour)

La deuxième période consacre l’institutionnalisation de la sociologie du sport. C’est la période dite en "réseau" En 1964 est crée un organisme regroupant les spécialistes sous l’égide du conseil international du Sport et de l’E.P. qui deviendra l’International Commite for the Sociology of Sport (ICSS).
1964, année charnière, c’est aussi l’année de parution de l’ouvrage de George Magnane sur lequel je reviendrai amplement dans les cours qui suivent. Son ouvrage "sociologie du sport" propose de décrire et d’expliquer la situation du loisir dans la société contemporaine. C’est le 1er ouvrage en France sur la sociologie du sport. Il devient un jalon (piquet pour marquer des alignements et qui sert de point de repère) entre les deux premières périodes.
1966, Jean Meynaud publie "sport et politique" chez Payot où il examine le sport sous l’éclairage de la science politique, ce qui l’amène aussi à traiter de sociologie du sport. L’auteur élabore un cadre permettant d’expliquer les relations entre les parcours publics et donc politiques et les milieux sportifs.
1968, Michel Bouet publie sa thèse d’état "signification du sport" dont je vous parlerai en détail dans un prochain cours. Ici, l’auteur examine le sport sous différentes perspectives. D’abord, l’éclairage de la phénoménologie (description des phénomènes) permet d’analyser les thèmes que recèle l’activité sportive, à savoir l’expérience du corps, le mouvement vécu, l’affrontement de l’obstacle, la recherche de la performance et de la compétition. Il en déduit une classification.
Ensuite l’éclairage historique qui signale les ruptures t montre l’adéquation entre l’essence du sport moderne et les valeurs de la société industrielle. La partie qui traite plus spécifiquement des problèmes sociologiques aborde les fonctions, les rôles et les applications du sport. Finalement, cet ouvrage marque l’émergence du sport en France.
1968, C’est l’année de la grande enquête de l’INSEE, élaborée un an auparavant et qui traite des comportements de loisir des français. Apparaît dans cette enquête un questionnement sur la pratique sportive, ce qui constitue le premier sondage important dans le pays sur le sport. A cette époque, il faut savoir qu’à peu près 7 français sur 10 ne pratiquent aucun sport !
Mais 1968, c’est aussi une période troublée par la contestation générale. Le sport n’échappe pas à ce mouvement global de la société française et l’on voit apparaître dans la revue "partisans" n°43 de juillet – septembre 1968, un ensemble de textes critiques qui dénoncent le sport bourgeois, reflet des catégories du système capitaliste. Uns relation d’interdépendance émerge et relie "compétition – rendement – mesure – record".
Dans cette critique acerbe, le sport ne peut pas être un facteur d’épanouissement mais s’avère un agent d’aliénation. Le sportif ne s’appartient plus, intégré dans la machinerie du système. On reconnaîtra ici les idées d’un autre sociologue du sport qui publiera sa thèse plus tard, Jean Marie Brohm… Mais on en reparlera aussi.
A la même époque paraît aux USA le premier ouvrage moderne traitant de sociologie du sport "Sport culture and society" sous les plumes convergentes de Kenyon et de loy (1969). C’est en fait un recueil d’articles où apparaît un souci scientifique : la définition de concepts, l’élaboration de cadres de références voisinent avec des perspectives plus descriptives qui traitent du rapport entre le sport et l’organisation sociale.
Un peu plus tard, Luc Boltanski, auteur français pour sa part, rédige un article intitulé "les usages sociaux du corps" dans la revue "annales, économies, sociétés, civilisations" n°1, 1971. Sa problématique est centrée sur l’ensemble des rapports que les individus entretiennent avec leurs corps. Ces rapports se modifient quand on passe des classes populaire aux classes supérieures. De la même façon, l’auteur montre que les fonctions imparties à la pratique du sport se modifient selon les classe sociales. Cet intérêt du rapport entre classes sociales et sport sera un point d’ancrage pour de nombreux autres auteurs qui se pencheront sur ce problème quelques années plus tard comme Bourdieu, Pociello, Clément.(retour)

La troisième période jalonnant le développement de la sociologie du sport s’étend de 1972 à la fin des années 1980. C’est la période dite "en grappe". Elle constitue l’avènement de groupes de travail qui étudient chacun des théories particulières. A partir des J.O de Munich, révélateur de l’impact social du sport à l’échelle planétaire, les livres se multiplient. En France en 1972, Bernard Jeu publie aux éditions universitaires "le sport, la mort, la violence". Philosophe, il développe à partir de larges emprunts à l’histoire, à la psychologie et à la sociologie la signification du sport. Pour lui, elle est une donnée immédiate : "le sport rejoue (sur le mode de l’espérance ou du rêve ou de la compensation) la victoire des hommes sur la mort ou sur la violence". Le sport se présente comme une anti-tragédie, le sportif est lui-même, il improvise, le résultat n’est pas fatal (comme une contre religion, on sauve son âme en prenant celle de l’autre, ; comme une contre société, ici la violence est une valeur et elle fonde la cohésion.

A partir des J.O de Montréal, le processus de constitution de la sociologie s’est intensifié, accéléré. Quelques indices le montrent :

Reste à savoir qu’elle est la situation en France ?

LA SITUATION EN FRANCE

Si à partir de 1970 tout observateur constate l’émergence d’un certain intérêt pour l’approche sociologique du phénomène, on peut se demander qui œuvre dans ce sens. En fait, on dénombre trois catégories de chercheur :

Les professeurs d’E.P.S. : A cette époque, les profs d’E.P.S s’intègrent peu à peu au système universitaire, les centres de formations devenant des U.E.R.E.P.S. (historique) Les enseignants en quête d’un savoir plus scientifique u à la recherche d’une reconnaissance plus universitaire s’engagent dans l’approfondissement de certaines disciplines scientifiques : sciences de l’éducation, histoire, psychologie, sociologie, biologie, etc. La transformation institutionnelle des écoles normales supérieures d’E.P.S. sera l’occasion de la mise en place d’une nouvelle formation ou plus exactement de poursuivre leur formation en tant que personnel recruté. Ces personnes sont des profs d’EP.S. en service qui sont détachés pour une période de deux ans afin d’approfondir leurs connaissances.
C’est à partir de cette formation que va se développer la réflexion sociologique, en particulier sous l’impulsion de Ch. Pociello. Celui-ci en reprenant la théorie de P. Bourdieu va développer la problématique à partir du postulat de base : "la définition sociale du sport est un enjeu de luttes".
Les pratiquants se livreraient une lutte symbolique pour définir la légitimité d’un sport, son existence. Cette perspective trace, façonne une organisation des sports qu’on entend comme un système des sports. Si cette description permet de relever d’affinité entre types de pratiques et groupes sociaux, il convient de rechercher des propositions explicatives. C’est au sein du domaine technique que l’on recherchera une explication de cette répartition sociale par le biais de la mise en place de logiques internes. Pociello distingue 4 types de sports antinomiques, fondés chacun sur une qualité physique particulière :

Les sports sont classés suivant la distance d’affrontement qu’ils autorisent (ex : lutte, tennis), ce critère permettant de fonder une "hiérarchisation socioculturelle".
Les distinctions proposées sont l’objet d’une recherche de médiations, de relations entre "pertinence technique" et "pertinence culturelle". Il les trouve dans le concept d’habitus développé par P. Bourdieu et les rapports que les membres des différentes classes sociales entretiennent avec leur corps.
Ainsi, de façon lapidaire, on pourrait dire qu’à "la solitude populaire s’oppose l’individualisme social de la petite bourgeoisie" (Cf. Ch. Pociello : "Sport et société", Vigot, 1977 et "le rugby ou la guerre des styles", Métaillé, 1983.)

Dans le cadre de la préparation au diplôme de l’INSEP mentionné précédemment, d’autres travaux ont été menés notamment celui de Y. Le Pogam dans démocratisation du sport : mythe ou réalité ? A partir de l’observation de deux groupes sociaux contrastés, des ouvriers te des membres de professions libérales, il montre qu’il existe des différences dans les influences des facteurs de situations. Je m’explique. Au sein des classes ouvrières, le milieu de travail et l’école jouerait un rôle prépondérant dans le choix des pratiques sportives, et dans les classes supérieures, ce seraient les relations amicales et les lieux de vacances.
L’auteur observe également qu’au sein du milieu ouvrier se manifeste une tentative d’appropriation des pratiques sportives des classes supérieures, mais celles-ci se réalisent souvent sous la forme d’un substitut comme dans le cas du golf miniature. Les classes supérieures recherchent, elles, des modes de pratiques qui permettent la distinction.
D’autres travaux de professeur d’E.P.S. gravit dans la mouvance des idées de Pociello comme par exemple ceux de Clément sur la lutte, l’expression corporelle comme Baron le blouin ou le vol libre comme D.
Un autre courant parmi les professeurs st incarné par J. M. Brohm. Bien que ne partageant pas les mêmes bases théoriques, il participe à l’analyse sociologique. Le point de vue critique développé par l’auteur aboutit à la publication de sa thèse d’état en 1976 intitulée "sociologie politique du sport". Cette vaste remise en cause du système sportif et de ses valeurs est un essai de sociologie générale du sport, de l’institution sportive, conçue à la fois comme sous-système du système social total et comme système spécifique relativement autonome. Il analyse la genèse, la structure, et les fonctions de l’institution sportive.
Le sport est le reflet du système capitaliste industriel, sa principale fonction est d’intégrer l’individu à cette société. Il constitue un appareil idéologique d’état qui, comme tel, assure la domination de la classe bourgeoise.
Une critique a cependant été souvent formulée à l’encontre de ce travail : le modèle présenté n’est qu’une construction théorique ne correspondant pas à ce qui se déroule sur le terrain (Dumazedier, revue E.P.S. n° 146 & Bouet, revue E.P.S. n° 151).

Les universitaires : Nous avons mentionné les travaux de M. Bouet, ceux de B. Jeu mais sans parler de Joffre Dumazedier. Celui-ci est davantage un sociologue des loisirs que du sport. Mais plus que jamais, sport et loisir rime ensemble. Dumazedier et son équipe ont réalisé des enquêtes et des sondages dans le cadre de recherches consacrées au loisir qui fournissent souvent des données indirectes sur la pratique.
L’étude du loisir permet de mieux comprendre la place du sport dans la société en le situant au sein d’un ensemble d’autres activités. Pour cet auteur, les pratiques effectuées pendant le temps de loisir, telles que la lecture, le sport, le bricolage, le théâtre... bien qu’apparemment différentes ont des propriétés communes. C’est ce qu’il développe dans son ouvrage "Vers une civilisation du loisir ?", Seuil, 1976

P. Bourdieu, sociologue, professeur au collège de France, a incidemment parlé de sociologie du sport mais sa théorie a eu une grande influence pendant la période 1975-1985. Partant du modèle d’une offre face à la demande sociale, il pose le problème des motivations à la pratique : "comment vient le goût du sport et de tel sport ?" C’est par l’histoire de l’apparition et du développement du sport que Bourdieu répond à la question de l’offre. A cet effet, il décrit l’utilisation du sport dans la lutte entre classes et entre fractions de la classe dominante, utilisation qui s’insère dans des tentatives d’imposition de nouvelles valeurs par une fraction prévalante de la classe dominante. (Cf. P. Bourdieu "La distinction", Ed de Minuit, 1979)

D’autres travaux universitaires ont abordé le domaine ou le champ sportif, en particulier ceux qui concernent l’économie. Par exemple, Christine Dauriac-Malenfant a publié en 1971 une recherche sur l’économie du sport intitulée : "L’économie du sport en France. Un compte satellite du sport".
Ultérieurement, elle a travaillé sur le bénévolat sportif où elle effectue une comparaison entre la situation française et la situation nord-américaine.
Di Ruzza a réalisé aussi une étude socio-économique sur le ski dans la période de son déclin : "Le ski en crise". Cette branche d’études économique se développe avec des centres spécialisés (Limoges, Paris dauphine) mais aussi des formations spécifiques de gestionnaires du sport.
Depuis ces années, d’autres travaux venant d’autres disciplines comme l’ethnologie permettent de nuancer les démarches sociologiques tout en gardant une volonté d’observation d l sphère sportive. Par exemple, pour ce qui est de la répartition par le social, le constat est à l’égal de la critique émise : l’extrême diffusion des pratiques semble gommer le poids des déterminations sociales. Ce qui fait dire à Pascal Duret (sociologie de sport – 2001) "qu’il est peut être vain et inutile […] de vouloir s’acharner à faire perdurer coûte que coûte un" système des sports "positionnant une grande quantité de pratiques qui seraient l’apanage de tels ou tels groupes sociaux".
D’ailleurs, suite à cette donne quantitative et comparative, l’auteur glisse sur la nécessité d’une compréhension sociologique complémentaire par le biais des études qualitatives, à même de déceler les significations symboliques enfouies et difficilement accessibles à l’appareil quantitatif. L’exemple de la marche à travers les travaux de Rauch (1997) en propose une lecture, tout comme les travaux de Yonnet (1998) montrent que le système des sports ne peut se réduire à l’expression en constellations (analyse des correspondances), longuement privilégiées par les sociologues en STAPS. Au final, c’est l’alternative (tout comme la complémentarité) qui est proposée par le truchement des approches qualitatives développées.
C’est donc le cas des enquêtes ethnologiques menées sur les pratiques sportives qui démontrent l’intérêt croissant et dialectique de cette discipline vis-à-vis du champ. Sous l’impulsion de C. Bromberger (le match de football, 1995), les études ont fleuri la dernière décennie (A. Saouter, L. Wacquant, E. De Léseleuc, M. Segalen, M. Barthélemy, A. N. Waser, Jérôme Pruneau) et ont mis en avant la dimension de l’observation, de la description et des entretiens dans la compréhension sociale des terrains d’enquête contemporains.

CONCLUSION

Cette présentation chronologique des recherches réalisées en sociologie du sport montre la naissance tardive de cette discipline. Le stade a été perçu longtemps comme un champ clos hors du monde et du temps, un espace de jeu protégé. Peu à peu, s’est réalisée la prise de conscience de la similitude de cette pratiques sociale par rapport aux autres pratiques. Les enjeux naissants du sport ont propulsé des études et des recherches sous l’angle de l’utilité, ce fut l’avènement des études à caractère biologique qui dominent aujourd’hui le champ.

Aujourd’hui la recherche sociologique se diversifie par le biais d’autres approches et se condense un peu plus pour arriver à un point de synthèse. A ce sujet, je vous recommande le petit livre de Pascal Duret "sociologie du sport" qui ne dresse pas une évolution historique aussi condensée que celle-ci mais qui propose de faire le point sur les derniers travaux et les dernières analyses en date. La conclusion qui peut être portée à son ouvrage serait de lui reconnaître toutes les qualités d’une œuvre riche dans la volonté de comprendre le sport et ses objets à travers la multitude des études réalisées ces cinq dernières années. Indéniablement, le bilan éloquent : le sport se porte bien, la recherche sociologique qui lui est dévolue garde une vitalité à l’égal de son aura sociale. Il n’est plus un objet homogène comme on a pu l’appréhender jadis au commencement d’une sociologie de fond. Il est à percevoir dans les multiples interstices de sa complexité, entre les lignes d’une hétérogénéité qui s’écrit sous toutes les formes du social, là où il s’immisce.