La sociologie française est divisée de multiples courants émanantes de différentes écoles de pensées, ce qui montre la diversité des réflexions daujourdhui mais qui exprime aussi toute la complexité dans la compréhension de nos sociétés. On distingue parmi cette floraison de pensées quatre grands courants qui segmentent majoritairement la réflexion.
Tableau synoptique
des courants |
Système |
Action |
Intégration
|
Individualisme méthodologique | Analyse fonctionnaliste et/ou stratégique |
Boudon |
Crozier |
|
Conflit
|
Structuralisme génétique |
Sociologie dynamique |
Bourdieu |
Balandier/Touraine |
Il existe des différences entre ces sociologues, des différences
dâge, dorigine mais tous sont de formation philosophique
et tous sont passés par la Sorbonne ou sont directeurs de laboratoires
de recherche reconnus.
La définition de ces termes permet de comprendre comment se situe
leur pensée.
Lintégration, cest comment expliquer que les individus
font partie de groupes sociaux.
Le conflit permet de comprendre les relations sociales sous langle
des confrontations entre lespace individuel et lespace de
groupe.
Le système englobe ces groupes sociaux et possède des
normes et des règles.
Laction situe ces groupes dans la mesure où, en fonction
de leur vie en collectivité, ils produisent des actions qui peuvent
être influer sur la transformation de la société.
Alors, si on reprend ce cadre de compréhension, il faut se poser les questions suivantes :
En résumé, on peut dire que Bourdieu et Touraine considèrent
le rapport dans la société en terme de conflits, selon une
division en classes, et Crozier et Boudon pensent ce rapport en terme
dintégration où ce sont les individus qui ont le pouvoir
de transformer le social.
Alors même si ces sociologues sont divergents par la pensée,
dans tous les cas, ils sintéressent à la totalité
sociale et à lindividu.
Lobjet de cette théorie est lopposition radicale des faits
aux structures. Il sagit donc détudier le devenir des
sociétés (mouvement, changement, évolution,
transformation)
Deux origines, une même source
A partir de là, il caractérise les faits sociaux de deux
façons. Dune part, lobjet de laction elle-même
et, dautre part, la signification que donne lacteur à
cet objet.
Alors de leur étude, on peut réaliser un schéma qui
explique comment se produisent, selon eux, les sociétés.
Mouvement
|
Ordre
|
|
Orientation
|
modèle culturel
|
hiérarchisation
|
Ressources
|
mobilisation
|
besoins
|
Le modèle culturel combiné aux besoins de la société
caractérise la culture et la mobilisation des ressources
corrélée avec la hiérarchisation sociale (place des
individus) produit le type de société.
Touraine dit : "la société se fait, elle est action
sur soi" alors que Bourdieu dit : "la société se
reproduit à partir des positions sociales des individus qui
obéissent à un "habitus".
Les mouvements sociaux pour Touraine représentent deux choses :
Si un sociologue va dans le sens de Touraine, il doit déterminer sil existe une action conflictuelle pour le contrôle sociale des orientations dune société et voir si cette action est une période de crise temporelle liée à quelques individus. Pour lui, tout mouvement social suscite un contre mouvement.
Lobjectif ici est létude de lorganisation sociale ou des organisations sociales, leur fonction et leur dysfonctionnement. Partant du principe quune organisation est un groupe dindividus, donc un lieu de dynamique sociale. Le point essentiel de lanalyse stratégique, cest la fonction interne de lorganisation et létude de leur dysfonctionnement.
Cette étude passe par trois points :
Crozier met donc avant tout en avant les stratégies des acteurs (place
des individus) en étudiant les pathologies des organisations à
travers leurs dysfonctionnements puisque pour lui toute organisation peut
dérailler. Il diffère encore dans cette démarche de
Bourdieu qui, lui, met en évidence une détermination des pratiques
sociales par les structures (système). De même il diffère
de Weber pour qui tout processus de bureaucratisation fonctionne de manière
rationnelle et collective ; et de Marx pour qui toute société
peut fonctionner selon une organisation sans rapport de pouvoir.
Quatre traits définissent les organisations selon Crozier :
A retenir :
Les organisations ne sont pas des entités abstraites, ni des données
naturelles mais elles sont des construits sociaux. Toute organisation est
le résultat des individus qui la composent. Laction collective
nest pas un phénomène naturel, mais ce sont les individus
qui permettent le fonctionnement de lorganisation en apportant leur
contribution avec des conditions fixées par les règles.
Néanmoins, les individus sont responsables des stratégies en
tant quacteurs ayant le pouvoir de changer les choses.
Conclusion : il y a 3 points importants dans lanalyse stratégique :
Ce post-struturalisme fait suite au structuralisme de Lévi-stauss des années 1950 dont lorigine est linguistique puis anthropologique dans la mesure où il cherchait à découvrir le système de relation sous-jacent qui organise les structures de parenté. "Les structures élémentaires de la parenté". Bourdieu, lui, met en relief une division de la société en classes, cest-à-dire qui catégorise des structures sociales en fonction de leurs origines et leurs appartenances de classes. Pour lui, tout groupe social est un système de rapport de force entre différentes classes. Son courant met en relief des structures inaperçues par les agents eux-mêmes et peut être appliqué dans le domaine des relations sociales les plus complexes.
Un système ou une structure (même chose) peut être défini par 4 caractéristiques :
Cette définition renvoie nécessairement à la question : comment se reproduisent les structures ? Pour y répondre, Bourdieu prend en compte les comportements des agents du système comme objet central en tant que reproduction des positions. Sa méthode comporte 3 étapes :
Le système de position : Il doit permettre de découvrir quelles relations et quel système de relations organisent lobjet étudié. Pour cela, il propose 3 étapes :
Ces étapes montrent que la motivation des agents est
déterminée par leur place dans la structure,
cest-à-dire leur système de position. Celui-ci est
conceptualisé par Bourdieu par ce quil appelle "lespace
des positions" qui correspond à la position sociale des individus
par rapport à leur CSP.
Deux axes déterminent cet espace :
Ainsi, de gauche à droite, on a une structure dissymétrique en faveur du capital culturel ou du capital économique. (retour)
Lhabitus : Cest un concept assez difficile
à saisir mais qui explique comment les apprentissages sociaux forment
des modes de perception, de comportements inculqués transmis aux agents
par la famille, le système éducatif, etc. A travers
lhabitus, il sagit "dintérioriser
lextériorité et dextérioriser
lintériorité". En fait, les agents situés dans
des conditions sociales différentes vont acquérir des dispositions
différentes en fonction du moment historique mais aussi en fonction
de leur place déjà inscrite dans lespace social. Cet
habitus permet donc de construire un système de dispositions acquises
mais aussi simultanément sera producteur de pratiques. Les
conséquences directes sont que les agents ont des comportements tels
que se perpétuent les relations entre classes. Ainsi, lindividu
intériorise la culture quil reçoit, la reproduit et donc
la perpétue. Cest comme ça que fonctionne la reproduction
sociale. (retour)
La reproduction sociale : Comme on vient de le voir, elle renvoie à la reproduction du système des relations de classes. Bourdieu, pour lexpliquer, prend lexemple du système scolaire. Le but de celui-ci est dinculquer, dapprendre une culture entendue pour la plupart de façon identique, fondée sur lidéologie de légalité des chances. Dans cette conception, tout individu a logiquement les mêmes chances que son voisin. Or la reproduction sociale impose aux classes dominées un savoir reconnu et appartenant aux classes dominantes. Donc la reproduction du système se traduit par la transmission dun savoir appartenant aux classes dominantes vers des classes inférieures. Ce qui engendre la plupart des distinctions culturelles et la différenciation de classes sociales.
Dans tous les cas selon Bourdieu, ce ne sont pas les individus qui agissent mais le système qui parle à travers eux. On peut donc en conclure que dans un système social, la plupart des individus qui réalisent des actions émettent des pensées qui ne leur appartiennent pas. A partir de ce quils font cest le système qui sexprime puisqueux sont directement reliés à leur position sociale. Lindividu nest quune partie pré-déterminée du tout qui, lui, forme le système. (retour)
Le premier principe est lindividu donc courant opposé au
structuralisme génétique. On sintéresse ici aux
comportements individuels et non aux structures. La question initiale est :
"quels sont les comportements réels des acteurs ?"
Boudon considère que les rôles quaura chaque acteur sont
différents des normes contraignantes mais quau contraire, il
y a une possibilité dusages offerte aux acteurs.
Cest-à-dire que lautonomie de lindividu est toujours
possible.
Alors comment les acteurs sociaux vont assumer leurs rôles ? Deux
phénomènes explicatifs :
Au niveau du système éducatif, Boudon pense que la scolarité
dun étudiant est une succession de choix. Dans la sociologie
du sport, Parlebas qui est un de ses adeptes pose, à travers la
classification des sports, cette idéologie du choix.
- Partenaires/Adversaires/Incertitude (courses cyclistes, régates
par équipe)
- Partenaires/Incertitude (Alpinisme ou kayak en équipe)
- Incertitude (Ski, voile)
- Adversaires/Incertitude (moto cross, régate seul)
- Partenaires (patinage couple, course relais, bobsleigh)
- Partenaires/adversaires (sports collectifs / tennis double)
- Adversaires ( tennis, sport combat, course de fond)
- Sans interaction (athlétisme lancers, sauts -,
haltérophilie)
A travers ce système global, il distingue deux types de jeu :
Mais chaque sport du schéma est une microsociété
caractérisée par sa clôture (espace, temps, nombre de
participants et modalités dinteraction). Cette
microsociété est soumise à des règles internes
et par rapport à ces règles, lindividu devient acteur
en élaborant une stratégie daction par rapport aux autres
et aux sports.
Cest dans ce sens que pour Parlebas, le sport se situe à la
croisée du pouvoir dinitiative individuelle et des systèmes
de contraintes collectives.
Tous ces courants se posent une question commune : quelles relations
sociales existent et comment elles sorganisent dans une
société ? Finalement les divergences ont lieu sur la
manière d'étudier ces relations sociales mais lunité
sociologique est lensemble des relations établies entre ces
courants.
Cest ce que propose Touraine et Ansard qui émettent deux continuums
entre ces courants.
Pour Touraine, il y a une relation entre les quatre courants en se basant
sur lobjectivité du chercheur et sur la méthode sociologique.
Boudon > Bourdieu > Crozier > Touraine
Plus le courant est à gauche, plus la méthode est objective,
cest-à-dire qui prend en compte lobjectivité du
chercheur et articule la théorie sur des formalisation mathématiques
(pas dimplication émotionnelle). Plus on va vers la droite,
moins de travaux statistiques mais plus dinteraction entre observateur
et observé (observation participante immersion en
société)
Pour Ansard, il se base sur lindividu.
Bourdieu > Touraine > Crozier > Boudon
Il place Bourdieu à gauche car pour Bourdieu lindividu est parlé par le système. Ayant une marge de liberté plus faible, il est à lopposé de Boudon pour qui lindividu est libre et effectue des choix à un moment donné face à une situation rencontrée.
On a vu les séances précédentes comment la sociologie
a pris naissance et sest développée en tant que champ
scientifique autonome. Comment elle divisait la pensée du monde en
deux grandes visions de ce monde ! Puis nous avons vu comment cette sociologie
est aujourdhui représentée en France à travers
quatre grands courants principaux qui découpent à eux seuls
lensemble de la pensée sociologique actuelle.
Il sagit dans ce cours de comprendre le développement de la
sociologie du sport à travers les travaux des différents auteurs
qui ont travaillé ou qui travaille encore sur lobjet sportif.
Il sagit donc de dresser un panorama de ce développement de
la sociologie du sport. Afin de pouvoir rattacher les analyses successives
que nous développerons dans les prochaines séances à
lensemble de la sociologie du sport.
Les premiers ouvrages qui traitent de sociologie du sport paraissent en Allemagne
au début du siècle dernier, cest-à-dire au début
du 20ème siècle. En 1910, il faut retenir
louvrage de Steinitzer "Sport und Kultur" qui examine les rapports
entre sport et culture comme le suggère le titre. Sachant quil
faut replacer dans son contexte le sport de lépoque. Cest
davantage une activité des corps et de sa mise en norme que la mise
en place de processus définis pour la recherche de performance ou
le loisir comme on peut le constater aujourdhui.
Le deuxième livre qui paraît est celui de Reisse en 1921
"Soziologie das sports" où lauteur développe des
réflexions sue le phénomène sportif plus quil
ne sattache à réaliser une véritable analyse.
Ces réflexions ont pour point de départ des opinions et des
préjugés qui ont cours sur le sport à cette époque.
Question :
Y en a-t-il encore aujourdhui ?
Et que peut-on entendre par préjugés sur le sport ? Renvoie
à lesprit critique.
Cependant, faisant preuve de pertinence, Reisse relève que les problèmes sociaux spécifiques naissent avec le sport et que ceux-ci ne peuvent être résolus que par une approche scientifique du phénomène. Si cet auteur met le doigt sur laspect scientifique des choses, il faudra attendre la moitié du 20ème siècle pour que prennent naissance la sociologie du sport.
A partir de 1950, les ouvrages traitant de sociologie du sport se multiplient,
la sociologie du sport intervenant de façon première ou accessoire
dans ces ouvrages. Citons par exemple des ouvrages de langue allemande comme
Papplow en 1951 "Zu einer soziologie das sports" ou encore Plessner
en 1952 "Soziologie das sports". Les analyses saffinent et prennent
la forme de plaidoyer ou dessai.
En France, Joffre Dumazedier publie avec des spécialistes du mouvement
sportif : "Regards neufs sur le sport" (1950). On peut voir dans
cet ouvrage lembryon dune sociologie du sport à partir :
Pourtant, selon Loy dans un article qui sintitule "The emergence and development of sociology of sport as an academic speciality" et qui est publié dans "Research Quaterly for Exercice and Sport", cest à partir de cette époque que va se développer la sociologie du sport. En effet, cet auteur distingue 4 étapes quil date :
Les articles qui paraissent au cours de la période dite "normale" sont essentiellement à caractère descriptif et font appel à lanalyse historique des phénomènes sportifs. On peut citer en France létude de Michel Clouscard, "les fonctions sociales du sport" qui paraît dans "Cahiers internationaux de sociologie" au 1er semestre 1963. A ce titre, cet auteur distingue cinq fonctions sociales du sport :
Educative / Agonale / Professionnelle / De spectacle / De distraction industrielle
Ce dernier stade correspond à la prise de conscience dun champ de recherche à investir. Le sport acquière une dimension planétaire grâce à a télévision, dautres sciences sinterrogent aux phénomènes biologiques ou physiologique. (retour)
La deuxième période consacre
linstitutionnalisation de la sociologie du sport. Cest la
période dite en "réseau" En 1964 est crée un organisme
regroupant les spécialistes sous légide du conseil
international du Sport et de lE.P. qui deviendra lInternational
Commite for the Sociology of Sport (ICSS).
1964, année charnière, cest aussi lannée
de parution de louvrage de George Magnane sur lequel je reviendrai
amplement dans les cours qui suivent. Son ouvrage "sociologie du sport"
propose de décrire et dexpliquer la situation du loisir dans
la société contemporaine. Cest le 1er ouvrage
en France sur la sociologie du sport. Il devient un jalon (piquet pour marquer
des alignements et qui sert de point de repère) entre les deux
premières périodes.
1966, Jean Meynaud publie "sport et politique" chez Payot où
il examine le sport sous léclairage de la science politique,
ce qui lamène aussi à traiter de sociologie du sport.
Lauteur élabore un cadre permettant dexpliquer les relations
entre les parcours publics et donc politiques et les milieux sportifs.
1968, Michel Bouet publie sa thèse détat "signification
du sport" dont je vous parlerai en détail dans un prochain cours.
Ici, lauteur examine le sport sous différentes perspectives.
Dabord, léclairage de la phénoménologie
(description des phénomènes) permet danalyser les
thèmes que recèle lactivité sportive, à
savoir lexpérience du corps, le mouvement vécu,
laffrontement de lobstacle, la recherche de la performance et
de la compétition. Il en déduit une classification.
Ensuite léclairage historique qui signale les ruptures t montre
ladéquation entre lessence du sport moderne et les valeurs
de la société industrielle. La partie qui traite plus
spécifiquement des problèmes sociologiques aborde les fonctions,
les rôles et les applications du sport. Finalement, cet ouvrage marque
lémergence du sport en France.
1968, Cest lannée de la grande enquête de lINSEE,
élaborée un an auparavant et qui traite des comportements de
loisir des français. Apparaît dans cette enquête un
questionnement sur la pratique sportive, ce qui constitue le premier sondage
important dans le pays sur le sport. A cette époque, il faut savoir
quà peu près 7 français sur 10 ne pratiquent aucun
sport !
Mais 1968, cest aussi une période troublée par la
contestation générale. Le sport néchappe pas à
ce mouvement global de la société française et lon
voit apparaître dans la revue "partisans" n°43 de juillet
septembre 1968, un ensemble de textes critiques qui dénoncent le sport
bourgeois, reflet des catégories du système capitaliste. Uns
relation dinterdépendance émerge et relie "compétition
rendement mesure record".
Dans cette critique acerbe, le sport ne peut pas être un facteur
dépanouissement mais savère un agent
daliénation. Le sportif ne sappartient plus,
intégré dans la machinerie du système. On reconnaîtra
ici les idées dun autre sociologue du sport qui publiera sa
thèse plus tard, Jean Marie Brohm
Mais on en reparlera aussi.
A la même époque paraît aux USA le premier ouvrage moderne
traitant de sociologie du sport "Sport culture and society" sous les
plumes convergentes de Kenyon et de loy (1969). Cest en fait un recueil
darticles où apparaît un souci scientifique : la
définition de concepts, lélaboration de cadres de
références voisinent avec des perspectives plus descriptives
qui traitent du rapport entre le sport et lorganisation sociale.
Un peu plus tard, Luc Boltanski, auteur français pour sa part,
rédige un article intitulé "les usages sociaux du corps"
dans la revue "annales, économies, sociétés, civilisations"
n°1, 1971. Sa problématique est centrée sur lensemble
des rapports que les individus entretiennent avec leurs corps. Ces rapports
se modifient quand on passe des classes populaire aux classes supérieures.
De la même façon, lauteur montre que les fonctions imparties
à la pratique du sport se modifient selon les classe sociales. Cet
intérêt du rapport entre classes sociales et sport sera un point
dancrage pour de nombreux autres auteurs qui se pencheront sur ce
problème quelques années plus tard comme Bourdieu, Pociello,
Clément.(retour)
La troisième période jalonnant le développement de la sociologie du sport sétend de 1972 à la fin des années 1980. Cest la période dite "en grappe". Elle constitue lavènement de groupes de travail qui étudient chacun des théories particulières. A partir des J.O de Munich, révélateur de limpact social du sport à léchelle planétaire, les livres se multiplient. En France en 1972, Bernard Jeu publie aux éditions universitaires "le sport, la mort, la violence". Philosophe, il développe à partir de larges emprunts à lhistoire, à la psychologie et à la sociologie la signification du sport. Pour lui, elle est une donnée immédiate : "le sport rejoue (sur le mode de lespérance ou du rêve ou de la compensation) la victoire des hommes sur la mort ou sur la violence". Le sport se présente comme une anti-tragédie, le sportif est lui-même, il improvise, le résultat nest pas fatal (comme une contre religion, on sauve son âme en prenant celle de lautre, ; comme une contre société, ici la violence est une valeur et elle fonde la cohésion.
A partir des J.O de Montréal, le processus de constitution de la sociologie sest intensifié, accéléré. Quelques indices le montrent :
Reste à savoir quelle est la situation en France ?
Si à partir de 1970 tout observateur constate lémergence dun certain intérêt pour lapproche sociologique du phénomène, on peut se demander qui uvre dans ce sens. En fait, on dénombre trois catégories de chercheur :
Les professeurs dE.P.S. : A cette époque,
les profs dE.P.S sintègrent peu à peu au système
universitaire, les centres de formations devenant des U.E.R.E.P.S. (historique)
Les enseignants en quête dun savoir plus scientifique u à
la recherche dune reconnaissance plus universitaire sengagent
dans lapprofondissement de certaines disciplines scientifiques :
sciences de léducation, histoire, psychologie, sociologie, biologie,
etc. La transformation institutionnelle des écoles normales
supérieures dE.P.S. sera loccasion de la mise en place
dune nouvelle formation ou plus exactement de poursuivre leur formation
en tant que personnel recruté. Ces personnes sont des profs dEP.S.
en service qui sont détachés pour une période de deux
ans afin dapprofondir leurs connaissances.
Cest à partir de cette formation que va se développer
la réflexion sociologique, en particulier sous limpulsion de
Ch. Pociello. Celui-ci en reprenant la théorie de P. Bourdieu va
développer la problématique à partir du postulat de
base : "la définition sociale du sport est un enjeu de luttes".
Les pratiquants se livreraient une lutte symbolique pour définir la
légitimité dun sport, son existence. Cette perspective
trace, façonne une organisation des sports quon entend comme
un système des sports. Si cette description permet de relever
daffinité entre types de pratiques et groupes sociaux, il convient
de rechercher des propositions explicatives. Cest au sein du domaine
technique que lon recherchera une explication de cette répartition
sociale par le biais de la mise en place de logiques internes. Pociello distingue
4 types de sports antinomiques, fondés chacun sur une qualité
physique particulière :
Les sports sont classés suivant la distance daffrontement
quils autorisent (ex : lutte, tennis), ce critère permettant
de fonder une "hiérarchisation socioculturelle".
Les distinctions proposées sont lobjet dune recherche
de médiations, de relations entre "pertinence technique" et "pertinence
culturelle". Il les trouve dans le concept dhabitus développé
par P. Bourdieu et les rapports que les membres des différentes classes
sociales entretiennent avec leur corps.
Ainsi, de façon lapidaire, on pourrait dire quà "la solitude
populaire soppose lindividualisme social de la petite bourgeoisie"
(Cf. Ch. Pociello : "Sport et société", Vigot,
1977 et "le rugby ou la guerre des styles", Métaillé,
1983.)
Dans le cadre de la préparation au diplôme de l’INSEP
mentionné précédemment, dautres travaux ont
été menés notamment celui de Y. Le Pogam dans
démocratisation du sport : mythe ou réalité ?
A partir de lobservation de deux groupes sociaux contrastés,
des ouvriers te des membres de professions libérales, il montre
quil existe des différences dans les influences des facteurs
de situations. Je mexplique. Au sein des classes ouvrières,
le milieu de travail et lécole jouerait un rôle
prépondérant dans le choix des pratiques sportives, et dans
les classes supérieures, ce seraient les relations amicales et les
lieux de vacances.
Lauteur observe également quau sein du milieu ouvrier
se manifeste une tentative dappropriation des pratiques sportives des
classes supérieures, mais celles-ci se réalisent souvent sous
la forme dun substitut comme dans le cas du golf miniature. Les classes
supérieures recherchent, elles, des modes de pratiques qui permettent
la distinction.
Dautres travaux de professeur dE.P.S. gravit dans la mouvance
des idées de Pociello comme par exemple ceux de Clément sur
la lutte, lexpression corporelle comme Baron le blouin ou le vol libre
comme D.
Un autre courant parmi les professeurs st incarné par J. M. Brohm.
Bien que ne partageant pas les mêmes bases théoriques, il participe
à lanalyse sociologique. Le point de vue critique
développé par lauteur aboutit à la publication
de sa thèse détat en 1976 intitulée "sociologie
politique du sport". Cette vaste remise en cause du système sportif
et de ses valeurs est un essai de sociologie générale du sport,
de linstitution sportive, conçue à la fois comme
sous-système du système social total et comme système
spécifique relativement autonome. Il analyse la genèse, la
structure, et les fonctions de linstitution sportive.
Le sport est le reflet du système capitaliste industriel, sa principale
fonction est dintégrer lindividu à cette
société. Il constitue un appareil idéologique
détat qui, comme tel, assure la domination de la classe
bourgeoise.
Une critique a cependant été souvent formulée à
lencontre de ce travail : le modèle présenté
nest quune construction théorique ne correspondant pas
à ce qui se déroule sur le terrain (Dumazedier, revue E.P.S.
n° 146 & Bouet, revue E.P.S. n° 151).
Les universitaires : Nous avons mentionné
les travaux de M. Bouet, ceux de B. Jeu mais sans parler de Joffre Dumazedier.
Celui-ci est davantage un sociologue des loisirs que du sport. Mais plus
que jamais, sport et loisir rime ensemble. Dumazedier et son équipe
ont réalisé des enquêtes et des sondages dans le cadre
de recherches consacrées au loisir qui fournissent souvent des
données indirectes sur la pratique.
Létude du loisir permet de mieux comprendre la place du sport
dans la société en le situant au sein dun ensemble
dautres activités. Pour cet auteur, les pratiques effectuées
pendant le temps de loisir, telles que la lecture, le sport, le bricolage,
le théâtre... bien quapparemment différentes ont
des propriétés communes. Cest ce quil développe
dans son ouvrage "Vers une civilisation du loisir ?", Seuil,
1976
P. Bourdieu, sociologue, professeur au collège de France, a incidemment parlé de sociologie du sport mais sa théorie a eu une grande influence pendant la période 1975-1985. Partant du modèle dune offre face à la demande sociale, il pose le problème des motivations à la pratique : "comment vient le goût du sport et de tel sport ?" Cest par lhistoire de lapparition et du développement du sport que Bourdieu répond à la question de loffre. A cet effet, il décrit lutilisation du sport dans la lutte entre classes et entre fractions de la classe dominante, utilisation qui sinsère dans des tentatives dimposition de nouvelles valeurs par une fraction prévalante de la classe dominante. (Cf. P. Bourdieu "La distinction", Ed de Minuit, 1979)
Dautres travaux universitaires ont abordé le domaine ou le champ
sportif, en particulier ceux qui concernent léconomie. Par exemple,
Christine Dauriac-Malenfant a publié en 1971 une recherche sur
léconomie du sport intitulée :
"Léconomie du sport en France. Un compte satellite du
sport".
Ultérieurement, elle a travaillé sur le bénévolat
sportif où elle effectue une comparaison entre la situation
française et la situation nord-américaine.
Di Ruzza a réalisé aussi une étude socio-économique
sur le ski dans la période de son déclin : "Le ski
en crise". Cette branche détudes économique se
développe avec des centres spécialisés (Limoges, Paris
dauphine) mais aussi des formations spécifiques de gestionnaires du
sport.
Depuis ces années, dautres travaux venant dautres disciplines
comme lethnologie permettent de nuancer les démarches sociologiques
tout en gardant une volonté dobservation d l sphère sportive.
Par exemple, pour ce qui est de la répartition par le social, le constat
est à légal de la critique émise :
lextrême diffusion des pratiques semble gommer le poids des
déterminations sociales. Ce qui fait dire à Pascal Duret
(sociologie de sport 2001) "quil est peut être vain
et inutile [
] de vouloir sacharner à faire perdurer
coûte que coûte un" système des
sports "positionnant une grande quantité de pratiques qui seraient
lapanage de tels ou tels groupes sociaux".
Dailleurs, suite à cette donne quantitative et comparative,
lauteur glisse sur la nécessité dune
compréhension sociologique complémentaire par le biais des
études qualitatives, à même de déceler les
significations symboliques enfouies et difficilement accessibles à
lappareil quantitatif. Lexemple de la marche à travers
les travaux de Rauch (1997) en propose une lecture, tout comme les travaux
de Yonnet (1998) montrent que le système des sports ne peut se
réduire à lexpression en constellations (analyse des
correspondances), longuement privilégiées par les sociologues
en STAPS. Au final, cest lalternative (tout comme la
complémentarité) qui est proposée par le truchement
des approches qualitatives développées.
Cest donc le cas des enquêtes ethnologiques menées sur
les pratiques sportives qui démontrent lintérêt
croissant et dialectique de cette discipline vis-à-vis du champ. Sous
limpulsion de C. Bromberger (le match de football, 1995), les études
ont fleuri la dernière décennie (A. Saouter, L. Wacquant, E.
De Léseleuc, M. Segalen, M. Barthélemy, A. N. Waser,
Jérôme Pruneau) et ont mis en avant la dimension de
lobservation, de la description et des entretiens dans la
compréhension sociale des terrains denquête contemporains.
Cette présentation chronologique des recherches réalisées en sociologie du sport montre la naissance tardive de cette discipline. Le stade a été perçu longtemps comme un champ clos hors du monde et du temps, un espace de jeu protégé. Peu à peu, sest réalisée la prise de conscience de la similitude de cette pratiques sociale par rapport aux autres pratiques. Les enjeux naissants du sport ont propulsé des études et des recherches sous langle de lutilité, ce fut lavènement des études à caractère biologique qui dominent aujourdhui le champ.
Aujourdhui la recherche sociologique se diversifie par le biais
dautres approches et se condense un peu plus pour arriver à
un point de synthèse. A ce sujet, je vous recommande le petit livre
de Pascal Duret "sociologie du sport" qui ne dresse pas une
évolution historique aussi condensée que celle-ci mais qui
propose de faire le point sur les derniers travaux et les dernières
analyses en date. La conclusion qui peut être portée à
son ouvrage serait de lui reconnaître toutes les qualités
dune uvre riche dans la volonté de comprendre le sport
et ses objets à travers la multitude des études
réalisées ces cinq dernières années.
Indéniablement, le bilan éloquent : le sport se porte
bien, la recherche sociologique qui lui est dévolue garde une
vitalité à légal de son aura sociale. Il nest
plus un objet homogène comme on a pu lappréhender jadis
au commencement dune sociologie de fond. Il est à percevoir
dans les multiples interstices de sa complexité, entre les lignes
dune hétérogénéité qui
sécrit sous toutes les formes du social, là où
il simmisce.